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islamisme

  • Ivan Rioufol : «François Fillon, ou le réveil de la France française»

     

    Les valeurs que le candidat défend - la liberté, la nation, la famille, l'emploi - peuvent parler à ceux qui se sont éloignés des élites, des partis et de leurs tambouilles.

    Ce qui porte François Fillon ? Sa défense de la France française. Cette évidence n'en est plus une pour de nombreux politiques, acquis à «la France de la diversité ». Alain Juppé est de ceux-là : il rejette, au nom du modernisme, l'objectif d'une assimilation de l'étranger chez l'hôte. Pour le maire de Bordeaux, ce processus qui a construit la nation millénaire est contestable car contesté par une partie de la minorité musulmane. Cette lecture identitaire de la primaire n'est pas celle qui est répercutée par l'écho médiatique : il s'est surtout arrêté aux recettes « libérales » des deux candidats et à leurs différences. Toutefois les électeurs, eux, ont saisi les vraies divergences en propulsant Fillon dès le premier tour (44,1 % des voix), loin devant son concurrent (28,6 %). Si la gauche échoue dimanche à accentuer son détournement du scrutin, qui a sans doute coûté à Nicolas Sarkozy d'être éliminé au premier tour (20,7 % de voix), Fillon est assuré de sa victoire.

    La révolution conservatrice, qui a plébiscité celui qui fut longtemps le quatrième dans les sondages, est un mouvement de fond que la vacuité du « progressisme » aura du mal à freiner. En se maintenant au second tour, alors qu'il aurait pu en rester là, Juppé espère néanmoins une remontée victorieuse. Elle ne peut avoir lieu que grâce aux électeurs qui viendraient massivement de la gauche. Ils ont été 15 % à s'être glissés dans les rangs des votants de la droite et du centre, dimanche. C'est à ces tricheurs que s'est adressé, cette semaine, celui qui se présente en modèle et en rassembleur. Mais ses attaques caricaturales contre Fillon, grimé notamment en « ultralibéral » et en « traditionaliste », sont des coups portés à l'unité fragile des Républicains. Juppé a choisi de faire le jeu de l'adversaire. Sa trahison laissera des traces.

    « Je ne connais pas d'islamisme modéré »

    La mobilisation de la droite profonde, provinciale et plutôt catholique, est un démenti à ceux qui la disaient disparue, au prétexte qu'ils ne voulaient pas l'entendre. Le sort de Hillary Clinton, candidate d'un Système rejeté outre-Atlantique, est normalement promis à Juppé, favori des médias moutonniers. En attendant, il se déshonore dans ses danses du ventre pour obtenir le ralliement du Camp du Bien. La confirmation de son échec, dimanche, mettrait un terme à la fausse droite hypnotisée par les donneurs de leçons. Le marais centriste, où barbotent les tièdes, n'est pas le lieu pour accueillir une opinion qui se radicalise. Si Fillon arrive à dépasser son image de notable coincé en s'adressant aussi aux plus vulnérables, qui n'ont pas été voter, il peut devenir le surprenant fédérateur d'une partie de la colère « populiste » attirée par le FN.

    Les valeurs que Fillon défend - la liberté, la nation, la famille, l'emploi - peuvent parler à ceux qui se sont éloignés des élites, des partis et de leurs tambouilles. En refusant d'appliquer les codes de la connivence médiatique, qui veulent qu'un politique joue le jeu de l'amuseur qui le moque, il a déjà su prendre ses distances avec un monde qui dissimule son conformisme derrière l'irrespect, la vulgarité, le ricanement. Un doute demeure cependant sur son courage, tant Fillon s'est longtemps montré effacé. Celui qui veut « vaincre le totalitarisme islamique » fut le premier ministre de la Ve République à inaugurer une mosquée - celle d'Argenteuil (Val-d'Oise) - en 2010, au mépris de la laïcité. En 2011, lors des « printemps » arabes, il chargea son directeur de cabinet de rappeler à l'ordre la secrétaire d'État, Jeannette Bougrab, qui venait de déclarer : « Je ne connais pas d'islamisme modéré. » Un autre recul de sa part lui serait fatal.

    La nation, véritable enjeu

    La société civile, avec laquelle Fillon dit vouloir travailler, pourrait devenir l'utile renfort à ses éventuelles faiblesses. Car la France tranquille qui se lève s'est émancipée des interdits de penser imposés depuis quarante ans. La maréchaussée médiatique avait cru voir dans la Manif pour tous le chant du cygne d'une nation ringarde et moribonde, en dépit de ses centaines de milliers de manifestants. Les propagandistes avaient préféré faire la promotion de Nuit debout, cette mini rébellion d'une gauche zombie qui enfilait des perles, place de la République, devant des journalistes subjugués. En réalité, Fillon est en passe de transcender une mobilisation lancée contre le mariage homosexuel pour en faire, au nom du bon sens pour tous, une résistance aux idéologies. Même si le Sarthois, pudique, est à l'opposé du Donald Trump tonitruant, les deux personnalités se retrouvent dans le rôle de porte-voix d'un électorat abandonné par un Système dont ils font paradoxalement partie. Tous deux veulent soustraire leur nation des mains des démolisseurs.

    Les attaques mesquines que Juppé porte à Fillon détournent du véritable enjeu. La fracture entre eux deux, qui débattent jeudi soir, est dans leur conception de la nation et de ses rapports avec l'islam. Quand Juppé dit rejeter « l’assimilation qui veut nous rendre tous semblables », il tire un trait sur la France française que Fillon entend préserver. En fait, les électeurs vont avoir à trancher, dimanche, entre l'historique conception unitaire et identitaire de la nation et une conception multiculturaliste et éclatée. Le modèle que défend Juppé, favori en Seine-Saint-Denis, n'est pas un obstacle au développement de l'islam politique. Le promoteur de « l’identité heureuse » s'obstine pourtant à en minimiser les dangers, récusant un choc des civilisations. Or c'est cet affrontement, né d'une idéologie de conquête relancée au nom de la charia et du califat, qui martyrise les chrétiens d'Orient défendus par Fillon. L'engagement de ce dernier à résister au « totalitarisme islamique », ce nouveau nazisme, et à interdire en France les mouvements liés au salafisme et aux Frères musulmans, contribue à son envol.

    La renaissance catholique, qui structure en partie cette révolution, est l'occasion pour la gauche de retrouver ses marques. « Au secours, Jésus revient !» titrait hier Libération. Mardi, ce quotidien comparait « le révérend père Fillon » à « une sorte de Tariq Ramadan des sacristies », en référence à l'intellectuel islamiste. Il est vrai que s'en prendre à un catho est sans risque.

    Et ceci : avec Fillon, l’« ultralibéralisme » serait donc de retour. En réalité, tant que l'État-providence, héritage gaulliste, n'aura pas été remis en question*, le libéralisme restera un leurre.

     

    * «L'Obsession gaulliste», d'Éric Brunet, Albin Michel.